Réaliser le dividende démographique en Afrique subsaharienne : Entretien avec Abebe Aemro Selassie, Directeur du département Afrique du Fonds Monétaire International

May 14, 2019

L’Afrique subsaharienne a la plus jeune population du monde, avec un nombre croissant de jeunes arrivant à l’âge de travailler. Lorsqu’un plus grand nombre de personnes travaillent et génèrent des revenus, l’opportunité de récolter les fruits du dividende démographique se présente.

Dans un entretien avec l’Institut Gates, M. Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du Fonds Monétaire International (FMI), évoque les chances de l’Afrique subsaharienne de réaliser son dividende démographique. Le FMI est une organisation internationale basée à Washington, D.C. ; il est gouverné par ses 189 États membres et « encourage la stabilité financière et la coopération monétaire internationale, et s’efforce aussi de faciliter le commerce international, d’œuvrer en faveur d’un emploi élevé et d’une croissance économique durable, et de faire reculer la pauvreté dans le monde, » selon son site internet. Le département Afrique du FMI couvre 45 États membres en Afrique subsaharienne.

Q : Qu’est-ce que le dividende démographique, depuis votre point de vue ? Et comment le FMI perçoit-il le dividende démographique en Afrique subsaharienne, ou les chances d’y arriver ?

R : Notre manière de voir les choses est que l’Afrique subsaharienne a de loin la plus jeune population au monde. Enfin, cela varie d’un pays à l’autre – dans une certaine mesure, il y a des nuances dans la région. Mais dans l’ensemble, c’est un fait que la population de la région est très, très jeune. Et à l’avenir, on s’attend à ce que cela mène à des résultats économiques positifs. Il va y avoir de plus en plus de jeunes arrivant à l’âge d’entrer dans la population active, [ce que] nous comprenons typiquement comme entre 15 et 64 [ans]. Et cela, dans la plupart des autres pays, a été associé à plus d’investissements et d’économies car plus de personnes travaillent et génèrent des revenus. C’est cela, en résumé, ce que nous appelons le dividende démographique.

Q : Quels seraient, selon vous, les précurseurs de la réalisation d’un dividende démographique ? Que faudrait-il accomplir pour y arriver, spécifiquement en Afrique ?

R : Clairement, l’une des conditions pour tirer le meilleur de ce qui pourrait être un énorme choc positif dans la région est d’avoir une population en bonne santé et bien éduquée. En effet, les bénéfices économiques pour une main d’œuvre plus qualifiée [et] mieux éduquée, en comparaison à une main d’œuvre non qualifiée, seront évidemment très différents. Investir dans l’éducation est un élément très important de cette équation.

Et l’autre aspect lié est, bien sûr, l’investissement dans la santé : tous les aspects de la politique sanitaire. Si les taux de croissance démographique [et] les indices de fécondité sont si élevés en Afrique subsaharienne, c’est parce que la mortalité néonatale [et] infantile est très élevée également. Mais une fois que les enfants dépassent ces âges, il faut veiller à ce qu’ils restent en bonne santé ; cela fait partie de l’investissement qui incombe à ces pays aujourd’hui.

Q : Considériez-vous les programmes de planification familiale comme déterminants pour que tous ces jeunes soient qualifiés et capables de contribuer à l’économie ?

R : Nous ne sommes pas experts de la planification familiale. Mais je considère qu’il n’y a pas de politique en particulier qui puisse à elle seule faire levier pour que l’impact du dividende démographique soit aussi bénéfique que nous l’attendons. Je pense qu’il y aura beaucoup de leviers politiques, et celui-là pourrait bien être l’un d’entre eux.

Q : Alors est-ce que vous voulez dire que nous avons besoin d’action concertée sur différentes dimensions de la politique publique ?

R : Oui, effectivement. Exactement. Je pense que c’est la nature même du processus de développement en général que de viser à améliorer de nombreux aspects de la vie économique. Et les politiques macroéconomiques ont un rôle à jouer, bien sûr, tout comme il est important d’investir dans la santé, l’éducation, et toutes les autres facettes de la vie économique et sociale.

Q : En ce qui concerne la jeune population africaine, nous devons réfléchir à la manière dont nous pourrons au mieux les employer et leur permettre de contribuer à l’économie locale. Nous savons que cela constitue une préoccupation majeure dans de nombreuses régions du continent africain. Quels leviers politiques peuvent être utilisés pour aller dans ce sens, sachant que la population la plus jeune au monde se trouve effectivement sur ce continent ?

R : En effet, anticiper la demande d’emplois dans les années à venir est précisément ce qui tient éveillés les législateurs dans la plupart des pays de la région. Vous savez, d’un point de vue plus abstrait et plus général, ce que nous voulons est maintenir une forte croissance économique autant que faire se peut. Cette condition n’est en aucun cas suffisante pour garantir qu’il y aura plein d’emplois. Mais c’est l’un des ingrédients clés que nous avons vu ailleurs –en Amérique latine, mais de manière plus spectaculaire en Asie— faciliter la création d’emplois. Encourager une forte croissance économique sera très important. Typiquement, la croissance économique prospère, ou est plus élevée, dans les pays dont l’environnement macroéconomique est stable. Donc c’est un ingrédient important. Tout aussi important, bien sûr, est l’investissement dans les institutions qui régulent l’économie. Cela implique d’avoir des institutions efficaces mais aussi « étroites ». Par exemple, avoir une banque centrale de bonne qualité [et] un Ministère des finances dont les processus budgétaires sont extrêmement transparents [et] qui alloue de manière efficiente et avisée les ressources publiques limitées [tout en assurant] une collecte des impôts efficace [sont autant d’éléments clés de ce processus].

Mais aussi, des institutions sociales plus larges qui gouvernent le contrat social. Il est très important d’[avoir] des institutions qui facilitent une plus grande redevabilité dans la sphère publique. Et puis, bien sûr, il faut qu’il y ait un moyen d’encourager plus d’investissements, et plus d’investissements privés en particulier. Dans certains cas, dans certains pays, le défi tient plus à l’environnement commercial –améliorer l’octroi de permis, supprimer les barrières auxquelles font face les entreprises qui souhaitent entrer en activité. Dans d’autres pays, cela tient aux pénuries de biens et services d’intérêt général. Des choses telles que l’infrastructure, comme les ports, l’électricité, l’investissement. En somme, ce sont là les défis auxquels nous avons affaire dans la région.

Q : Lorsqu’on parle du dividende démographique, ce qui vient à l’esprit est l’expérience de l’Asie orientale, où selon les spécialistes du sujet, près d’un quart à un tiers de la croissance enregistrée dans la région peut être reliée à l’amélioration du ratio de dépendance généré grâce au déclin de la fécondité depuis les années 70 environ. Diriez-vous que ce type de séquence serait utile pour l’Afrique également, en termes de réalisation du dividende démographique sur le continent ?

R : Ce que nous avons observé est qu’en Afrique sub-saharienne, la baisse de l’indice synthétique de fécondité a été plus lente, en moyenne, que dans les pays asiatiques. Cela a donc généré une crainte de ne pas voir le dividende démographique se donner de la même manière qu’en Asie. Franchement, je pense qu’il est encore trop tôt pour prédire comment les choses vont se dérouler en Afrique subsaharienne. Bien sûr, certains facteurs à l’œuvre sont propres à l’Afrique subsaharienne, comme cela a été le cas en Asie. Et nous les projections doivent être resituée sur un spectre. Nous avons tous tendance à utiliser le scénario moyen des projections de la population des Nations Unies, mais il existe un large spectre d’estimations autour de cette projection. Je pense donc qu’il est un peu tôt pour s’exprimer sur la rapidité à laquelle les indices de fécondité déclineront en Afrique subsaharienne. Vous savez, les niveaux de revenus per capita sont très différents. Et je pense que c’est un bon baromètre de l’état des institutions et d’autres aspects de la vie, comme l’espérance de vie, etc. Des incertitudes demeurent dans ce domaine, me semble-t-il, et je pense qu’il est difficile d’apporter une réponse catégorique à cette question.

Q : L’Afrique pourrait-il tirer des leçons de l’expérience de l’Asie orientale ?

R : En tant que macroéconomiste, je pense que l’Afrique a énormément à apprendre des politiques économiques qui ont été menées en Asie et qui ont facilité la création d’emplois, soutenant une forte croissance économique. Avant tout, je pense qu’il est important de maintenir un bon équilibre macroéconomique, en évitant les déséquilibres types générés par de hauts déficits fiscaux, de hauts déficits des comptes courants. Mais cela relève davantage d’une mesure politique de défense. D’un point de vue plus positif, il est important de trouver des manières intelligentes de mener des interventions gouvernementales répondant aux contraintes qui pèsent sur la croissance. Je pense que les pays ont beaucoup de manœuvre en identifiant les barrières qui entravent la pénétration des produits sur le marché, l’entrée en activité des entreprises, et en encourageant plus de compétition. Il sera important d’identifier ces barrières et de faciliter plus d’investissements. C’est très similaire sur le marché du travail. Veiller à avoir une main d’œuvre qualifiée et bien développée peut contribuer à augmenter la productivité ; tout cela fait partie de l’équation.

Q : En ce qui concerne la spécificité du continent africain, quelles sont les caractéristiques actuelles des pays d’Afrique, selon vous, qui suggèrent que ces pays suivront une trajectoire quelque peu différente de celle de l’Asie orientale ?

R : En termes de défis généraux du développement, on note plusieurs différences. Je veux dire que l’Afrique a une histoire sociale, économique et politique très particulière. L’impact de la colonisation a évidemment été très différente dans la région en comparaison à l’Asie. Même en termes de niveaux de vie, il faut compter le niveau de revenus per capita mais aussi l’espérance de vie, et d’autres aspects de la vie et [autres] différences. Et bien sûr la situation géographique est pour certains pays relativement compliquée. Il y a beaucoup plus de pays situés dans des régions enclavées, ce qui rend un peu plus difficile de les intégrer aux économiques mondiales aussi rapidement que les pays côtiers qui ont accès à la mer. Donc je pense que tous ces aspects sont bien entendu difficiles. Et je crois qu’un autre aspect qui complique et distingue le cas de l’Afrique est le fait que le continent ait beaucoup plus de petits pays en comparaison à l’Asie ; c’est là aussi l’une des facettes qui affecte autant la formulation de la politique économique que la trajectoire du développement de la région différemment de ce que nous avons vu en Asie.

Q : Il y a deux ans, la Banque mondiale et le FMI ont publié un rapport commun qui portait sur la manière dont la démographie affecte la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Et le rapport classait les pays en plusieurs catégories, mais ces catégories étaient basées sur le stade de transition démographique des pays, selon s’ils étaient considérés comme étant en pré-transition, au début ou à la fin de leur transition démographique. Et ce qu’on pouvait voir, c’est que la plupart des pays développés se situent aujourd’hui dans la catégorie des pays en fin de transition démographique, mais la plupart des pays d’Afrique en étaient au début ou au stade de pré-transition. Pensez-vous que cela est une manière utile d’aborder la situation pour réfléchir aux stratégies de développement ? Et comment pouvons-nous concrétiser ce que nous observons à travers cette grille analytique par des actions pouvant être proposées ou recommandées aux différents pays ?

R : L’une des choses que nous devons aussi garder à l’esprit et l’hétérogénéité considérable de l’Afrique subsaharienne. Je pense que le terme de début de transition est peut-être approprié dans certains pays de la région, mais au sein même de l’Afrique subsaharienne, les stades de transition démographique varient beaucoup selon les pays. Donc vous avez des pays comme l’Afrique du Sud, le Lesotho, et quelques autres qui en sont à un stade relativement avancé de leur transition démographique. Je veux dire, ils n’en sont pas du tout au point des sociétés vieillissantes, mais l’âge médian de la population est relativement plus élevé que dans d’autres endroits comme au Niger, où l’âge médian est de l’ordre de 15, 16 ans. Donc dans les pays de l’Afrique subsaharienne, on observe effectivement des variations non négligeables du stade de transition démographique [des pays]. Dans l’ensemble, mais cela n’est pas vrai pour tous les pays, on observe que les pays avec des niveaux de revenus per capita quelque peu supérieurs en Afrique subsaharienne en sont à un stage légèrement plus avancé de leur transition démographique, et les pays à revenus per capita faibles en sont à un stade très, très initial de leur transition démographique.

Q : Pour que cette transition se produise, il faut que certaines politiques soient en place dans les pays qui en sont au début de leur transition démographique ou en pré-transition. Quelles sont les mesures politiques que les législateurs devraient défendre ?

R : Je pense que la responsabilité de veiller à ce que les investissements adéquats soient faits dans la santé et dans l’éducation est plus importante encore dans ces pays. Sur le thème de la santé, par exemple, une raison pour laquelle ces pays demeurent au stade de pré-transition, ou au tout début de leur transition démographique, est qu’ils ont des indices de fécondité très élevés. Et un facteur qui a fait couler beaucoup d’encre est que [ces pays] tendent à avoir des taux de mortalité infantile et néonatale très élevés. Alors investir dans la santé pour s’attaquer aux causes du problème de la très forte mortalité infantile et néonatale est, me semble-t-il, absolument primordial. Nous avons observé un déclin rapide des taux de mortalité infantile et néonatale, mais pas suffisant. Les chiffres sont toujours très élevés en comparaison au reste du monde. Donc, répondre à ces problèmes est une [action] qui pourrait selon moi contribuer à faciliter une transition démographique plus rapide.

Q : Lorsqu’on pense au dividende démographique, certaines personnes le perçoivent comme quelque chose de trop lointain –il faudra attendre peut-être 30 ans pour en récolter les fruits. Que répondriez-vous à celles et ceux qui considèrent que cela ne mène à rien dans le type de travail que vous menez ?

R : Pour l’économie mondiale, pour celles et ceux qui élaborent la politique internationale, pour le monde des affaires, il est important de garder à l’esprit un chiffre : d’ici 2030, qui n’est que dans 12 à 13 ans, la moitié de la croissance de la main d’œuvre à l’échelle mondiale viendra de l’Afrique sub-saharienne. Cela signifie concrètement deux choses pour moi. La première est que pour toute entreprise d’envergure nécessitant une main d’œuvre importante, je pense qu’une stratégie de relocation sera nécessaire pour utiliser la main d’œuvre qui sera conséquente en Afrique sub-saharienne. Cela est un facteur très important, je crois. Et l’autre aspect important à garder à l’esprit est que ce phénomène se produit en même temps que le déclin de la population en âge de travailler dans une grande partie du reste du monde — où la population active reste stable ou augmente de manière marginale, voire décline comme nous avons commencé à le voir dans certains pays. Cette juxtaposition d’une population en âge de travailler en croissance rapide en Afrique subsaharienne avec une population qui demeure stable ailleurs dans le monde aura aussi des conséquences mondiales et doit être internalisée par la communauté internationale.

Q : Les indices synthétiques de fécondité sont toujours assez élevés en Afrique. Cette tendance est en train de ralentir, mais pas aussi rapidement que dans d’autres régions ou que ce à quoi certains s’attendaient. Devrions-nous nous inquiéter de cette trajectoire démographique ?

R : Il y a toujours raison de s’inquiéter sur l’incertitude de l’avenir. Si la croissance économique ne peut être maintenue à un rythme qui puisse donner une place aux personnes qui arrivent en âge de travailler, cela génèrera des pressions, des tensions sociales. De la même manière, je pense que les changements que nous avons vus en Afrique sub-saharienne dans les 20 à 25 dernières années ont été tout simplement spectaculaires. L’opportunité d’une génération entière s’est améliorée considérablement dans les 20-25 dernières années. Et lorsque j’ai commencé ma carrière au début des années 1990, si vous m’aviez demandé si l’Afrique subsaharienne en serait là où elle est aujourd’hui, je ne suis pas sûre que j’aurais eu le même point de vue. Les conditions initiales en 1990 n’auraient pas prédit cette période de forte croissance, cette amélioration du développement humain dont nous avons été témoin. Depuis ce point de départ très, très bas – des pays ravagés par la guerre civile, des économies extrêmement, extrêmement fragiles et en mauvaise condition – nous avons vu la région se développement considérablement. Ce dont j’ai été témoin en termes d’évolution des institutions — une gouvernance de meilleure qualité, de meilleurs systèmes politiques, de meilleurs processus d’élaboration de la politique publique — me donne beaucoup d’espoir sur le fait que le défi démographique auquel nous sommes confrontés peut être surmonté et peut devenir, en réalité, plus bénéfique pour l’avenir de la région.

Q : Dans vos conversations avec les gouvernements nationaux, le thème de la démographique est-il soulevé ? Quel niveau d’inquiétude manifestent-ils concernant leur capacité à subvenir aux besoins de leurs très jeunes populations ?

R : Cette inquiétude est à l’esprit des responsables politiques. Typiquement, elle se manifeste en termes de besoin d’investir davantage dans l’infrastructure publique pour faciliter une plus grande croissance économique, à travers des discussions sur le besoin de dépenser et d’investir davantage dans des domaines tels que la santé et l’éducation. Je pense que les autorités sont conscientes du fait qu’il existe un besoin d’augmenter le nombre de classes, la qualité de l’éducation dans les écoles, [et] de meilleures infrastructures publiques pour faciliter la création de plus en plus d’entreprises. Un bon exemple, peut-être, sont les discussions que nous menons sur l’augmentation de l’investissement dans le secteur énergétique. Sans électricité, vous ne pouvez pas avoir le type de transformation structurelle dont vous avez besoin pour améliorer la productivité, pour faciliter de nouvelles formes d’activité. Ainsi, dans nos discussions avec les autorités, c’est typiquement dans ces termes que se manifestent les effets des dynamiques démographiques.

Q : Certains considèrent que la santé de la reproduction relève davantage du domaine du Ministère de la santé, et non du Ministère des finances ou des autorités économiques. Pensez-vous que cela est la bonne manière d’approcher ces questions ?

R : Je dois dire que n’étant pas experts de la santé reproductive, cela n’est pas un domaine dans lequel nous, économistes du FMI, nous sommes beaucoup aventurés.

Q : Compréhensible. Dans vos conversations avec les législateurs, quelles sont les tactiques qui peuvent les convaincre que telle ou telle autre manière de faire est la bonne ? Quelles stratégies les personnes et les plaideurs peuvent-ils utiliser pour communiquer avec leurs responsables politiques et attirer leur attention ?

R : Je pense que nous devons tous faire preuve d’humilité. Vous savez, les pressions auxquelles font face les pays — les pressions sociales, les pressions politiques qui accompagnent le grand nombre de jeunes entrant sur le marché du travail — sont [élevées]. Les responsables politiques sont généralement très conscients de ces pressions, bien plus je pense que les conseillers politiques externes comme moi. Je pense que notre responsabilité est d’aider à mettre en lumière les domaines qui ont porté leurs fruits dans d’autres pays, et de permettre aux gouvernements d’adapter ces politiques à leurs circonstances particulières, à ce qui est adéquat dans leurs pays.

Q : Dans quels domaines pouvons-nous être optimistes pour l’Afrique concernant la façon dont les responsables politiques envisagent le lien entre démographie et développement de la population ?

R : Comme je l’ai mentionné précédemment, dans le cadre du travail que nous avons mené, nous avons vu que dans presque tous les cas où les pays ont traversé cette transition démographique, les revenus per capita à la fin de la transition étaient plus élevés qu’au début. Dans certains cas, bien-sûr, considérablement plus élevés. Cela a été le cas dans de nombreux pays en Asie. Ce que nous souhaitons est que les pays de l’Afrique subsaharienne prennent exemple sur ce que l’Asie a fait et achèvent leur transition démographique avec des niveaux bien plus élevés de revenus per capita. L’un des domaines qui, selon moi, est très prometteur pour la région est la révolution technologique actuellement à l’œuvre. Juste pour vous donner un exemple qui parlera à tout le monde : l’espace de la Fintech[1]. La pénétration des institutions financières traditionnelles en Afrique sub-saharienne a été limitée à ce jour, et je ne suis pas sûr que le secteur financier de l’Afrique sub-saharienne se développera de la même façon que les pays aujourd’hui développés l’ont fait. Je pense qu’il y a beaucoup d’espace pour sauter toute cette intermédiation par des réseaux de bureaux de banques ou autres établissements de ce type, et passer directement à des formes plus modernes de gestion financière que nous voyons se développer dans la région à la pointe de l’innovation. Les paiements mobiles sont, bien sûr, un système de ce type. La technologie offre selon moi aux pays d’Afrique sub-saharienne beaucoup de marge pour faciliter une forte croissance de la productivité. C’est un aspect très intéressant. L’autre – pour en revenir à ce dont je parlais plus tôt sur les trajectoires démographiques – signifie que l’Afrique sub-saharienne sera au cœur d’une nouvelle demande d’investissement à l’échelle mondiale. Et je pense que cela sera une source de grande croissance pour la plupart des pays de la région d’ici 2050 environ.

Q : Lorsque vous vous rendez dans un pays et parlez du dividende du démographique, qui selon vous est-il important d’avoir autour de la table ? Quels sont les acteurs clés qu’il vous semble important de rassembler ?

R : Lorsque nous discutons des perspectives de croissance à moyen terme, des moteurs économiques clés, j’aime souvent entendre les points de vue des différents secteurs. Bien entendu les législateurs sont importants. Mais je veux aussi comprendre ce qui empêche une plus grande croissance du point de vue du secteur commercial, [et] de celui des organisations de la société civile. Et d’autres branches du gouvernement, dans la mesure du possible. Voyez-vous, je pense qu’on surestime souvent ce que peuvent faire les législateurs. Et d’ailleurs, si vous observez le succès de l’Afrique sub-saharienne dans les 20 à 30 dernières années, il a porté sur l’amélioration de ce que j’ai appelé tout à l’heure les « institutions étroites ». Une banque centrale, des agences d’administration des revenus et une finance publique de meilleure qualité. Mais le défi du développement, dans un sens plus large est bien plus transversal, n’est non pas seulement quelque chose qui concerne le gouvernement mais [aussi] les parlementaires, les organisations de la société civile, le monde de l’entreprise et d’autres acteurs. Donc j’essaie de rencontrer autant d’homologues que possible pour tâcher de comprendre leurs contraintes. Nos équipes en font de même pour aider à moduler et formuler notre conseil.

Q : Si vous me le permettez, pouvons-nous revenir à la question du secteur de la santé et sa relation au secteur financier, ce qui je crois est le sujet d’intérêt du FMI.

R : Je ne suis pas sûr d’en savoir beaucoup sur le secteur de la santé à proprement parler.

Q : Mais en termes de coordination avec d’autres groupes. Par exemple, la Banque mondiale, qui est une institution similaire à la vôtre, est celle qui travaille peut-être le plus sur ce sujet, le secteur social. Existe-t-il des mécanismes en place pour coordonner le travail du secteur financier mené par le FMI avec celui de la Banque mondiale dans le domaine de la santé ? Ce niveau de coordination existe-t-il dans les pays ?

R : Nous travaillons effectivement en étroite collaboration avec nos collègues de la Banque mondiale. La démarcation type de nos compétences est que nous avons tendance à travailler sur les aspects plus macro des politiques et sur les leviers politiques macro plus directement, tels que la politique fiscale, monétaire, relative aux taxes, etc. La Banque mondiale a beaucoup d’expertise dans des domaines plus spécifiques : la santé, l’éducation. Nous travaillons donc en étroite collaboration, et dans le secteur financier nous collaborons aussi avec la Banque, qui couvre de nombreux aspects liés au développement du secteur financier, tandis que les équipes du Fonds se focalisent davantage sur l’aspect régulateur du secteur. Pour permettre, par exemple, plus d’investissements dans la santé ou l’éducation, l’une de nos responsabilités, et l’une des choses sur lesquelles nous travaillons avec les gouvernements pour essayer de maximiser l’impact, [est] ce que nous appelons l’espace fiscal. Il s’agit en résumé de l’espace dont disposent les gouvernements pour les dépenses dans le développement qu’ils identifient comme étant prioritaires. Ces priorités sont définies par le gouvernement. Parfois, elles portent sur l’infrastructure, mais souvent sur la santé ou l’éducation. Nous prenons soin d’identifier comment augmenter au maximum les revenus des impôts, par exemple. Il s’agit de trouver des moyens d’optimiser les dépenses. Nous travaillons avec les gouvernements pour essayer d’identifier les domaines dans lesquels des économies peuvent être générées pour créer un espace fiscal. Dans d’autre cas, il s’agit aussi de combien vous pouvez emprunter de manière optimale sans créer de problèmes de dettes. C’est là notre principale contribution pour rendre les ressources plus disponibles et servir les objectifs de développement des gouvernements.

Q : Si un législateur venait vous demander de l’aide sur la fiscalité d’un pays donné, en vous indiquant être préoccupé par la forte population jeune du pays, car ce dernier ne dispose pas de suffisamment de ressources pour la santé, l’éducation, etc. Est-ce quelque chose sur quoi vous lui apporteriez conseil ? Ou vous contenteriez-vous de focaliser vos conseils sur l’espace fiscal ? Car je pense qu’il pourrait y avoir des efforts de coordination en matière de conseil. Et je sais que les gouvernements écoutent le FMI, la Banque mondiale et beaucoup d’autres institutions pour comprendre comment elles pourraient potentiellement aider leurs pays.

R : Vous savez, ce que nous essayons de faire est d’aider les gouvernements à trouver le bon équilibre, un équilibre raisonnable, entre des investissements grandement nécessaires dans la majorité des pays en voie de développement dans lesquels nous travaillons, et l’évitement d’une accumulation insoutenable de la dette publique. Trouver cet équilibre est souvent très difficile, bien sûr. Comme vous l’avez dit, il y a souvent de très fortes pressions qui poussent à dépenser les ressources sur le court terme. Alors la question est de savoir comment concilier tout ça. Comment trouver une manière raisonnable de générer du financement pour ces objectifs, de manière viable et durable ? Nous essayons d’imaginer des idées pour faciliter cela. Bien entendu, dans notre conseil, nous soulignons toujours les risques de dépenses agressives immédiates pour le moyen terme. En réalité, ce sont les autorités qui décident où tracer la ligne, et quel niveau de risque prendre, pour trouver cet équilibre. Et nous faisons de notre mieux pour aider les pays à trouver un terrain d’entente dans le contexte des programmes, bien sûr, à un niveau de dépense que nous considérons raisonnable.

Q : La promesse du dividende démographique en Afrique sub-saharienne est donc de taille. Et avec votre aide, de nombreux groupes s’efforcent d’appliquer des politiques et d’ouvrir l’espace fiscal à d’autres investissements dans l’éducation et la santé pour leurs concitoyens. Avez-vous observé des succès initiaux dans certains pays qui vont déjà dans la bonne direction, et qui pourraient de manière réaliste récolter les fruits du dividende démographique ?

R : Vous savez, il est difficile de répondre à cette question, simplement en raison de la grande hétérogénéité de l’Afrique sub-saharienne. Et, vous savez, ce que je peux vous dire c’est que nous avons observé des améliorations considérables en termes de croissance dans la plupart des pays de la région. Certains pays sont en croissance économique continue depuis 20-30 ans, ce qui est impressionnant. Mais dans d’autres dimensions, dans certains pays, cette croissance soutenue a été plus courte, bien que les améliorations des résultats de développement qui nous intéressent – comme l’amélioration de l’espérance de vie, la réduction des taux de mortalité maternelle et infantile — aient été beaucoup plus rapides. Donc, vous voyez, déterminer quel pays peut être considéré comme un exemple de réussite dépend un peu de la façon dont on voit les choses. Il y a d’autres pays encore qui ont enregistré plus de progrès dans le domaine politique ou de leurs institutions. Donc, pour moi, le développement est un processus qui se déroule sur de nombreux axes. Certains portent dans le domaine politique, d’autres dans le domaine social. La transformation économique elle-même est bien entendu importante. L’amélioration du niveau de vie est importante. Les pays en sont à des stades différents de ce processus de transformation.

Et enfin, bien sûr, dans certains pays, les conflits demeurent un problème majeur. Le Sud Soudan, par exemple, en ce moment, ou la République centrafricaine, qui sort à peine d’un conflit mais qui fait toujours face à de nombreuses difficultés. Je dirais qu’en général, les progrès ont été très encourageants dans la majorité des pays de l’Afrique sub-saharienne. Et si cela peut être maintenu dans le temps, je pense que les résultats seront très positifs.

Q : Un déclin plus rapide de la fécondité aidera-t-il à maintenir la croissance économique ?

R : Entre autres choses, oui.

Q : Vous avez mentionné ce qui vous rend optimiste pour la région selon votre expérience. Comment imaginez-vous 2030 ? Quel serait l’objectif du FMI dans la région ? À quoi ressemblerait-elle ? Quels aspects se seront améliorés d’ici là, permettant une croissance économique durable dans la région ?

R : Mon souhait, mon espoir, mon attente, mon rêve est bien sûr que la région ne soit plus emprise aux conflits d’envergure actuelle, qui n’ont pas plus de 20 ou 25 [ans] mais qui représentent un fardeau bien trop lourd à porter. Beaucoup moins de conflit, bien sûr. Moins de crises humanitaires dont nous sommes témoin dans la région de temps à autre. Et vraiment, une croissance économique continue et un meilleur niveau de vie. Donc pas uniquement une hausse des revenus, mais toutes les autres dimensions. Je souhaite que les économies croissent d’ici 2030 plus rapidement encore que nous ne l’avons vu dans le passé récent. Et si cela peut se maintenir sur le long terme, avec les bonnes interventions, cela devrait engendrer des transformations économiques : de plus grandes activités de productivité dans les pays [et] des chaînes d’approvisionnement mondiales plus intégrées, ce qui aura pour effet vertueux d’élever le niveau de vie et de créer les millions d’emplois que la région doit générer.

 

[1] La Fintech se réfère à la technologie financière.

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